Par Fabien Duvergey, Atoll de Rangiroa, Polynésie française.
Vous ne rêvez pas, le vin de Tahiti
existe réellement. Un pari fou qu'a relevé Dominique Auroy sur cette terre
située aux antipodes de la métropole. Récit d'une histoire fantastique.
« Le propre des hommes
passionnés est de ne pas croire un seul mot de ce que l'on écrit sur les
passions ». Cette citation d'Alain pourrait résumer à merveille le
caractère de Mr. Auroy, cet homme de défis et de passion.
Certes, un Français passionné de vin
pourrait être défini comme un pléonasme. Mais dans la passion il y a des
degrés, Mr. Auroy peut rentrer sur l’échelon le plus élevé.
Visite d'une certaine idée du Paradis
Sur l'atoll de Rangiroa (« l'île
au ciel immense » en dialecte local), le directeur technique, Sébastien
Thépenier, et son équipe prennent le bateau pour rejoindre le motu (ilot) où
sont plantées les vignes. En traversant le lagon, les raies et dauphins suivent
l'embarcation. Arrivé sur le motu, le chemin de corail encadré par les cocotiers
et les rosiers guide le visiteur. Protégé des cyclones par des arbres
brise-vent, le domaine Ampélidacées s'ouvre pour observer les fameuses
rangées de vignes.
Les vendanges s'effectuent deux fois
par an. Les vignes poussent sur un sol corallien, envahies par le soleil et
l'air salin entre lagon et océan.
La création de ce vignoble de Tahiti
est le fruit d'un travail titanesque, d'un travail de passionnés. L'instigateur
de ce projet est un industriel, Mr. Auroy, plus qu'un passionné, c'est un
amoureux de la vigne et du vin. Un amoureux de l'histoire du vin, de ce que
représente la culture de la vigne à travers les âges. C'est aussi et surtout un
homme de défis, un homme allant à l'encontre des idées reçues et des
conclusions hâtives.
Après son baccalauréat, il décide de
travailler dans le domaine de l'énergie et à l'étranger, il part au Sahara pour
travailler sur les « pipelines ». A 23 ans et avec déjà une
solide expérience, il est responsable de plusieurs centaines de personnes.
Il continue à travailler dans le
domaine de l'énergie et lorsque EDF conclut qu'il n'est pas possible de créer
de l'énergie hydraulique dans le Pacifique, Dominique Auroy relève le défi. Il
crée sa société d'hydroélectricité en Polynésie française. Puis, il devient
plus tard directeur des « Brasseries du Pacifique ».
Son intérêt pour le vin croît et il se
fait alors des connaissances dans le Bordelais, qui lui transmettent un savoir.
Auprès de ces passionnés, de ces connaisseurs, il acquiert une connaissance du
vin beaucoup plus précise, et l'idée d'investir dans le milieu du vin se
précise.
« Ce n'est pas possible »
Acheter un domaine en Bordelais ?
Peu d'intérêts lorsque l'on connaît son côté novateur. L'idée étant de créer un nouveau vignoble, d'aller
dans des endroits jamais explorés en terme vinicole. Au début des années
quatre-vingt dix, les pays du nouveau monde ont déjà pris toute leur ampleur sous
l'impulsion de la Californie. Oui, il faut essayer quelque chose de marginal,
de différent, de fou : Tahiti ! L'idée est saugrenue et mal reçue,
les premiers commentaires fusent : « Il est impossible de
faire pousser de la vigne sous ces climats », « Tu vas y
perdre ton argent ». Comme à l’accoutumé, loin de le freiner, ces
phrases le motivent et le poussent à commencer ce projet fou.
L'aventure commence par l'étude de la faisabilité du projet. De 1992 à 1994, un travail de recherche fondamental est opéré, notamment sous l'impulsion de Bernard Hudelot,
professeur à l'Université de la vigne et du vin de Dijon qui étudie et tente de
maîtriser le cycle végétatif sous ce climat. Les cinq archipels de la Polynésie
française sont sélectionnés afin d'y
planter de la vigne. Trois critères sont étudiés :
l'approvisionnement en eau douce, la luminosité et le type de sol.
Paradoxalement, le plus difficile est de trouver une luminosité suffisante. Seul l'archipel des Tuamotu remplit ce critère, plus particulièrement l'atoll
de Hao. De 1995 à 1996, les premières plantations de vignes s'effectuent,
avant d'observer qu'un atoll au nord-est serait plus approprié. En 1997, on
plante alors une centaine de cépages différents sur l'atoll de Rangiroa, anneau
de corail à une heure d'avion de Papeete. Le but étant de savoir quelles
variétés s'acclimateront le mieux. Rapidement trois cépages s'épanouissent sur
ce sol corallien : le Carignan, le Muscat et l'Italia.
En 1999, la première récolte est de
seulement 1,5 litre mais ô combien symbolique : le premier vin de Tahiti
est créé ! A partir de ce moment, il s'agit d'augmenter la production et
de vendre le vin.
En 2000, la production est de
15 litres. Deux stratégies sont implémentées : certaines gammes sont mises
dans des bouteilles de cinquante centilitres et un vin rouge est réalisé à
partir du Carignan. Mais ces choix vont s'avérer problématiques dans le
développement et la réputation des Vins de Tahiti. En effet, les bouteilles de cinquante centilitres ne sont pas assimilées par le
consommateur, habitué à des bouteilles standard de soixante-quinze centilitres.
De plus, il y a une telle attente de la part des Polynésiens de connaître
« leur » vin que les critiques populaires sont acerbes. En métropole,
les préjugés et les railleries fusent. Les premiers vins rouges ne conviennent
pas au palais des consommateurs.
Les premières réputations sont souvent
les plus dures à combattre. Pendant plus de dix ans l'équipe de Dominique
Auroy, avec notamment Dominique Jezegou, directrice de la communication et
Sébastien Thépenier, va tenter de changer cette première image. Un marketing
visuel qui change, des bouteilles standardisées à soixante-quinze centilitres, la suppression du vin rouge et
une recherche plus approfondie sur les vins blancs et rosés. Les résultats se
font sentir et en 2008 et 2009, le vin blanc obtient des médailles aux Vinalies
Internationales de Paris.
Le blanc de Corail est bien équilibré
et, avec ses notes vanillées, il s'accorde parfaitement avec la cuisine
polynésienne. Le rosé est frais, agréable et peut rivaliser avec aisance avec
les meilleurs rosés d'Europe.
Convaincu par ce succès, Dominique Auroy
n'a pas fini de relever de nouveaux défis et a décidé de créer un second
vignoble … au Gabon. La première cuvée Omar Bongo est créée en 2004 mais
ça, c'est une autre histoire !
Le premier tour du monde des vignerons
et oenologues français expatriés sur : Vin-et-voyage.blogspot.com
Plus d'informations sur :
www.vindetahiti.com